Immersion au sein du printemps féministe latino-américain

L’année passée, Anaïs et moi même présentions ensemble, dans le cadre de nos études, un exposé sur l’intersectionnalité, le féminisme décolonial et son impact en Amérique Latine. Nous avions d’ailleurs publié, sur ce blog, l’article « Le féminisme postcolonial en Amérique Latine » dans lequel nous vous partagions nos recherches sur ce sujet qui à l’époque déjà nous passionnait. Je vous conseille préalablement de lire ou relire cet article qui témoigne de l’actuelle résurgence des combats féministes latino-américains.

Mais qu’est-ce qui a changé en l’espace d’une année ?

Beaucoup de choses à vrai dire… En effet, nous sommes parties étudier à l’étranger pendant plus de 8 mois, ce qui explique en partie notre absence sur notre blog. Ce fût, pour toutes les deux, une expérience inoubliable et très enrichissante ! Anaïs partit à la découverte de la ville cosmopolite d’Istanbul, tandis que moi, je m’envolais pour les terres incas.

En effet, j’ai vécu près d’une année à Lima où j’eus le plaisir d’étudier les sciences sociales à la Pontificia Universidad Católica del Perú, prestigieuse université d’Amérique du Sud. Je profitais également des week-end pour quitter cette ville bruyante mais toutefois charmante et découvrais les richesses du Pérou. Je pus alors m’émerveiller devant l’immense diversité des paysages péruviens ainsi qu’apprécier les cultures andines et amazoniennes.

De plus, lors de mes vacances scolaires, je suis partie en sac-à-dos à la découverte de l’Amérique du Sud accompagnée d’une amie. Pendant 6 semaines, nous avons eu la chance de visiter la capitale chilienne, le Nord de l’Argentine (de Buenos Aires aux chutes d’Iguazu) ainsi que la Bolivie.

Durant cette année, mon intérêt pour les questions féministes, coloniales et intersectionnelles n’a cessé de se développer et mon rapport à ces thématiques a quelque peu évolué.

Pendant mon semestre universitaire au Pérou, j’ai suivi différents enseignements soulevant les questions de genre, de classe et d’identités ethniques notamment mes cours d' »Ethnographie Andine » et de « Genre et Politique ». A travers ces enseignements, je pris pleinement conscience de l’importance de la perspective intersectionnelle pour, par exemple, comprendre les conditions de vie des populations andines et notamment des femmes autochtones. Au Pérou, les femmes « indigenas » souffrent de plusieurs discriminations liées à leurs identités de femme et d’autochtone, identité ethnique désignée et perçue comme inférieure dans l’espace andin. Je développerai ces idées dans un prochain article car les enseignements que j’ai reçu m’ont profondément plu et surtout permis d’appréhender ces thématiques d’un autre point de vue.

Aussi, durant mon voyage estival au Chili, en Argentine et en Bolivie, j’ai pris conscience (à ma plus grande joie) de la vitalité et de la force des mouvements féministes en Amérique Latine.

Mon roadtrip en Amérique du Sud a débuté à Santiago, la capitale du Chili où se déroulent de vives manifestations depuis octobre 2019. En effet, ces puissants mouvements populaires sont nés en réaction à l’augmentation des prix de services publics. Des milliers de chilien.e.s sont alors descendu.e.s dans les rues pour dénoncer ses mesures étatiques, mais aussi plus largement les fortes inégalités sociales et économiques qui tendent à se renforcer dans le pays. Ces protestations chiliennes s’inscrivent dans un contexte plus général d’essor des manifestations d’ampleur en Amérique Latine. Bien qu’ayant des revendications différentes, ces mouvements populaires naissent de la contestation d’une mesure précise – la hausse du prix du métro et du bus au Chili, la réélection truquée d’Evo Morales en Bolivie, la mise en place d’un plan d’austérité en Équateur – pour aboutir sur des dénonciations plus larges des inégalités socio-économiques mais aussi de ordre patriarcal.

Par exemple, c’est dans ce contexte explosif de révolte sociale que le collectif féministe chilien LasTesis a performé dans les rues de Santiago et Valparaiso l’hymne féministe « un violador en tu camino » (un violeur sur ton chemin). Grâce aux réseaux sociaux, ce chant a été largement repris à l’échelle internationale. Sur tous les continents, des milliers de personnes ont entonné ces paroles puissantes : « ce n’était pas de ma faute, ni de l’endroit où je me trouvais, ni de comment j’étais habillée… le violeur c’est toi ! »

Je suis arrivée à Santiago de Chile le 1er février 2020 et j’ai directement été bouleversée par cette ville marquée à l’encre rouge par ses manifestations d’envergure. Les murs de la ville sont couverts de graffitis dénonçant le pouvoir en place, les inégalités sociales et économiques et l’ordre patriarcal. Je remarque des tags et affiches féministes à tous les coins de rues, ce qui m’émeut particulièrement. Dans les rues de Santiago, je prends alors conscience de la vitalité et de la puissance des mouvements féministes chiliens.

Voici quelques tags et affiches féministes dénonçant le patriarcat, les violences de genre, le féminicide, les normes de beauté imposées aux femmes, la pénalisation de l’avortement… Par exemple, la traduction du graffiti central dénonçant le machisme est la suivante : « Ton corps n’est pas le sien ! Ton esprit n’est pas le sien ! Tes rêves ne sont pas les siens ! Tu n’es pas coupable ! Le machisme te TUE ! »

De nombreux lieux de pouvoir, édifices religieux, musées (notamment le centre culturel Gabriela Mistral ou le musée d’Art Contemporain) sont devenues des supports privilégiés par les manifestants pour inscrire leurs revendications. Cette prise de parole sur les façades d’édifices publics favorise alors la pénétration dans la sphère publique et politique des revendications populaires.

Aussi, durant ma semaine à Santiago de Chile, je peux observer un grand nombre de fonctionnaires publics chargés de décoller des affiches ou repeindre les graffitis. Pourtant, le résultat de leur travail semble bien insignifiant face à l’ampleur de la mobilisation citoyenne !

Toutefois, la vitalité féministe n’est pas seulement remarquable à Santiago de Chile. Lors de mon étape en Argentine, et notamment à Buenos Aires et Rosario, j’ai eu le plaisir de voir à nouveau dans les rues de nombreux tags et affiches féministes dénonçant les violences de genre, la domination masculine et l’inefficacité voire l’inactivité de l’Etat. J’ai même le souvenir d’avoir lu le tag « la heteronorma mata » (« l’hétéronormativité tue ») dans un village complètement perdu au Nord de l’Argentine ! Ce qui prouve l’étendue du printemps féministe non seulement dans les espaces urbains privilégiés mais aussi dans les espaces ruraux. De plus, j’ai été réellement frappée par la quantité de personnes portant un foulard vert accroché à leur sac. Ce foulard, symbolisant la lutte pour la légalisation de l’avortement, est très visible dans les rues des villes argentines.

Voici quelques affiches féministes remarquées dans des rues de Rosario en Argentine. Nous pouvons lire le slogan « l’État torture, viole et tue » ou encore « ce corps est le mien, cette vie est la mienne ».

Tout au long de mon voyage, je n’ai cessé de m’enthousiasmer en constatant la vitalité du féminisme en Amérique du Sud. J’ai vraiment la sensation que les voix s’élèvent en nombre pour renverser l’ordre patriarcal et promouvoir l’égalité de genre. L’année passée, j’étudiais le « printemps féministe en Amérique Latine » pour un exposé, cette année j’avais le sentiment d’en être témoin ! Ce voyage a profondément renforcé mon envie et ma détermination de continuer à lutter, avec ferveur et espérance, contre le patriarcat et les violences de genre. #NiUnaMenos

Marie

Laisser un commentaire