Sorcières, la puissance invaincue des femmes, Mona Chollet

Mona Chollet, essayiste et journaliste franco-suisse, a publié en septembre 2018 un nouvel ouvrage fascinant, percutant et bouleversant Sorcières, la puissance invaincue des femmes. Après son brillant travail sur les industries de la mode et de la beauté dans Beauté fatale, les nouveaux visages d’une aliénation féminine, cet auteure féministe nous propose aujourd’hui un ouvrage ultra-documenté sur la sorcière qui représente à « la fois la victime absolue, celle pour qui on réclame justice, et la rebelle obstinée, insaisissable ».

Les chasses aux sorcières

Dans l’introduction de son ouvrage, Mona Chollet rappelle les horreurs, souvent occultées ou niées, vécues par des milliers de femmes dès le XVe siècle dans toute l’Europe. Les chasses aux sorcières furent largement impulsées par la publication en 1487 de l’ouvrage Le Marteau des sorcières (Malleus maleficarum) de Jakob Sprenger détaillant le processus à suivre pour capturer et éliminer les sorcières désignées comme des traîtresses du côté de Satan.

Les magiciennes et guérisseuses furent longtemps respectées au sein de la société car elles soignaient les malades ou les blessés, aidaient les femmes à accoucher ou à avorter. Mais celles-ci furent perçues comme des menaces pour la communauté lorsque leurs activités furent assimilées à des agissements diaboliques.

Ces femmes puissantes furent marginalisées, pourchassées, torturées dans toute l’Europe du XVIè au XVIIè siècle car elles incarnaient le mal absolu. Le récit des tortures infligées à ces femmes est insoutenable : « le corps désarticulé par l’estrapade, brûlé par des sièges en métal chauffé à blanc, les jambes brisés par les brodequins ».

« La mise en scène publique des supplices, puissant instrument de terreur et de discipline collective, leur intimait de se montrer discrètes, dociles, soumises, de ne pas faire de vagues ». Ce passé douloureux et sombre a contribué à façonner le monde qui est le nôtre en amplifiant la domination patriarcale et les préjugés à l’égard des femmes, qui étaient contraintes de réprimer certains comportements, certaines manières d’être .

« Nous avons hérité de ces représentations forgées et perpétuées au fil des siècles. Ces images négatives continuent de produire, au mieux, de la censure ou de l’autocensure, des empêchements, au pire de hostilité voire de la violence ».

Redécouverte de la sorcière

La figure de la sorcière a été largement redécouverte par plusieurs mouvements féministes contemporains dénonçant un monde misogyne ainsi que la barbarie du patriarcat. Ces mouvements féministes s’approprient cette image car « la sorcière incarne la femme affranchie de toutes dominations, de toutes limitations ; elle est un idéal vers lequel tendre, elle montre la voie ».

Le point de départ de la réflexion de Mona Chollet est le constat de la surreprésentation, parmi les accusées et les victimes des chasses aux sorcières, de vieilles femmes, de veuves ou encore de célibataires. L’auteure s’attache alors dans son ouvrage Sorcières, la puissance invaincue des femmes à présenter trois profils de femmes qui furent marginalisées, censurées ou éliminées et qui, aujourd’hui encore, dérangent :

  • la femme indépendante (chapitre 1 : Une vie à soi. Le fléau de l’indépendance féminine)
  • la femme sans enfant (chapitre 2 : Le désir de la stérilité. Pas d’enfant, une possibilité)
  • la femme âgée (chapitre 3 : L’ivresse de cimes. Briser l’image de la « vieille peau »)

La femme indépendante

Dès l’enfance, nous intériorisons, inconsciemment, dans les cadres scolaire et familial, des comportements et des valeurs qui sont attribués à notre genre. La socialisation de genre (processus par lequel les individus assignés depuis leur naissance à une classe de sexe apprennent à se comporter, à sentir et à penser selon les formes socialement associées à leur sexe), conduit à ce que les femmes « considèrent le couple et la famille comme les éléments essentiels de leur accomplissement personnel ».

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Or, pour dissuader les femmes de s’émanciper, on leur inculque que leur liberté est synonyme de solitude, elles ne sont pas éduquées pour croire en leurs potentialités, en leur autonomie et en leur force. Ainsi, certaines femmes finissent par penser qu’elles ne peuvent se sentir épanouies, accomplies, intégrées dans la société qu’à travers leur rôle de mère et d’épouse : elles sont enchaînées à leur rôle reproductif.

« Le lien avec un homme et des enfants vécus sur le mode du don de soi reste considéré comme le coeur de leur identité … les femmes intègrent la conviction que leur raison de vivre est de servir les autres « 

La sorcière avec son balais, symbole d’indépendance, incarne alors la femme émancipée qui a su dépasser les rôles qui lui étaient assignés et exister en dehors de tout individu. « La sorcière est le seul archétype féminin qui détient un pouvoir par elle-même. Elle ne se laisse pas définir par quelqu’un d’autre, la sorcière est une femme qui tient debout toute seule » (Pam Grossman). Tout comme la sorcière, la célibataire, largement stigmatisée dans la société, incarne alors l’indépendance, l’autonomie, la femme émancipée des schémas habituels refusant d’être définie par quelqu’un d’autre.

La femme sans enfant

« Certaines trouvent un autre moyen d’échapper à l’engloutissement dans le rôle de la servante dévouée : ne pas élever d’enfants ; se donner naissance plutôt que transmettre la vie ; inventer une identité féminine qui fasse l’économie de la maternité »

Dès la fin du XVIe siècle, la pression sociale s’exerce fortement sur les femmes pour que celles-ci fassent et élèvent beaucoup d’enfants. L’Eglise catholique préconise une natalité sans frein assurant que « Dieu pourvoira à leurs besoins ». Puis au XIXe siècle, les ligues natalistes, nombreuses et de plus en plus influentes, disent agir au nom de la paix sociale, de l’intérêt national et de la protection de la race.

Les femmes sont alors largement ramenées à leur rôle de mère, à leur utérus qui symboliserait la preuve irréfutable qu’elles doivent faire des enfants. Or, nous rappelons, que comme le clitoris, l’utérus n’est pas une spécificité féminine : être une femme ne signifie pas être dotée d’un utérus ! De plus, au XIXè siècle, certains propageaient l’idée que l’éducation était dangereuse pour les femmes, celles-ci devaient conserver leur énergie en elles, autour de l’utérus car  » le développement du système reproducteur ne permettait pas le développement de l’intelligence ». La reproduction était alors l’unique but de l’existence des femmes, tandis que seul un rapport fécondant était un véritable rapport sexuel.

« Un homme qui ne devient pas père déroge à une fonction sociale, tandis qu’une femme est censée jouer dans la maternité la réalisation de son identité profonde »

Puis, en France, les lois Neuwirth (1967) et Veil (1975) légalisent respectivement la pilule contraceptive et l’interruption volontaire de grossesse. Mais l’avortement, dont la légalisation fût et reste encore vivement contestée par les mouvements pro-vie, reste peu légitime culturellement, du fait de l’omniprésente dans notre société de la propagande en faveur de la famille.

Manifestation en soutien à la loi Veil sur l’avortement, le 24 novembre 1979, photo d’Alain Nogues

Même, au sein du milieu médical, les femmes désireuses de ne pas avoir d’enfant ne sont pas toujours soutenues. Dans l’ouvrage La maltraitante médicale en France, Martin Winckler souligne les violences gynécologiques physiques et verbales dont sont victimes les femmes tels que ces propos :  » si vous avez mal durant vos règles, c’est parce que votre corps réclame une grossesse ».

La femme âgée

Enfin, dans la société occidentale caractérisée par le culte de la jeunesse, la femme ménopausée écope d’une image très négative, celle-ci est considérée comme un fléau. En effet, la valeur d’une femme reposerait seulement sur sa fertilité et sur son apparence physique qui se dégraderait au fil des années. Ainsi, tandis que les hommes, en vieillissant, augmentent leur pouvoir économique et social, les femmes perdent leur capital corporel : leur beauté et leur capacité à enfanter.

« Les hommes ne vieillissent pas mieux que les femmes ; ils ont seulement l’autorisation de vieillir » (Carrie Fisher) 

Les Trois âges de la femme, Klimt, 1905

Aussi, la sexualité des femmes âgées reste largement tabou dans les sociétés. La diabolisation du désir des femmes ménopausées s’explique par la croyance que ces femmes n’ont plus de droit légitime à une vie sexuelle puisqu’elles ne peuvent plus enfanter. Encore une fois, les femmes sont réduites et n’existent que dans leur rôle de mère !

En bref

Sorcières, la puissance invaincue des femmes est un ouvrage de référence au sein des milieux féministes dans lequel l’auteure, Mona Chollet, aborde avec justesse la place des femmes dans la société moderne. Selon moi, cet essai ultra-documenté ne peut laisser le lecteur impassible. Lors de ma lecture, j’ai souvent été troublée, émue, parfois même révoltée en prenant conscience de l’étendue des horreurs vécues par les femmes dans le passé… et, encore de nos jours.

Les trois types de sorcière présentés dans ce livre – la femme indépendante, sans enfant, âgée – sont des profils encore aujourd’hui largement stigmatisés dans les sociétés contemporaines : la route pour l’émancipation des femmes reste encore longue… Je conseille à tout le monde de lire cet essai qui a renforcé mon envie de me battre pour remettre en question et dépasser les normes culturelles imposées aux femmes !

Marie

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